Les vacances de l’amour

Publié le par alexonyme

L’été était caniculaire cette année-là, ce qui justifiait encore plus des vacances à la montagne. Mais Sylvie et Serge n’avaient pas besoin d’excuses, tant ils aimaient passer du temps au chalet.

La voiture s’aventurait prudemment sur l’étroite et abrupte route en terre battue. Il ne fallait pas aller trop vite, au risque de toucher le châssis, alors elle avançait au pas.

Secoués par les trous épars, la tête balançant de droite à gauche, le couple était si joyeux d’être enfin en vacances. La pilote concentrée sur le chemin, le co-pilote, le bras pendant à la portière observait le somptueux paysage. La route longeait des prés. Devant eux, deux lignes orange, tendues, partaient à l’horizon. Ces lignes servaient d’enclos, des fils électriques disposés de chaque côté de la route, censés retenir les vaches. Elles étaient allaitantes, ces vaches. Elles chillaient là tout l’été avec leur veau, l’herbe et l’eau en abondance. Parmi elles, un sacré putain de Dom Rouane, un taureau, placé là pour faire son boulot quand elles en avaient besoin.

  • Il a la belle vie, lui.
  • Forniquer avant de se faire bouffer ?
  • Mais quand même.

Sylvie esquissa un léger sourire approbateur en inclinant sa tête de côté. Un petit air faussement gêné, qui la rendait irrésistible.

Le son des cloches participait à l’ambiance bucolique, l’ambiance de la montagne en été. Pourtant, la voiture avançant toujours, Serge aperçut le taureau qui les regardait d’un air menaçant. Pire, il le regardait, lui, d’un air de défi.

Enfin arrivés devant la bâtisse du milieu du XIXème siècle, les tourtereaux durent néanmoins se mettre au travail, alors qu’ils étaient réjouis de sentir l’odeur du vieux bois, synonyme de vacances. Ils déchargèrent les provisions, leurs affaires, firent le lit, mirent le courant, firent un feu… Tout était prêt pour passer la plus sympathique des semaines. Installés, ils profitèrent des longs jours de juin pour savourer un apéritif à base de chips et de vin blanc, bien gardés par le panorama superbe.

Les ébats furent chauds, et entrelacés, les amoureux s’endormirent tendrement.

Qu’est-ce que c’est, hein, qu’est-ce que, qu’…

Sylvie se réveille brusquement.

Un cauchemar ? C’est quoi ? Les grincements du chalet, ça bouge le bois. Ou c’est des bestioles. Ouais sûrement un truc comme ça. Ouais c’est ça. Arrête de faire ta peureuse Sylvie.

Sylvie se rendort.

Putain c’est quoi ? Serge t’entend ?

Serge a déjà les yeux grands ouverts.

Ils se regardent. Le bruit des cloches. Le bruit des cloches, il est proche, et rapide. Normal ?

Le bruit augmente. Le bruit augmente. Le bruit augmente, encore et encore.

Un gros tremblement.

Ça tape contre le chalet, ça tape fort contre le chalet. Des coups sont portés tout autour du chalet. Ça vibre.

Sylvie jette un prompt coup d’œil par la fenêtre. Ils sont assaillis, gentiment, mais sûrement par PLUS DE CENT VACHES !

Sans doute vénères de leur destinée reproductrice, et ayant décidé que leur voix comptait aussi, elles allaient faire payer les seuls êtres humains du coin, les seuls qu’elles avaient sous le sabot. Qui plus est, de grands amateurs de viande, mais blanche.

Des cornes traversent la façade. Là aussi. Là aussi. Putain, là aussi.

La façade cède.

Ils courent. Traversent la cuisine. Serge se jette sur l’échelle qui mène à l’étage du dessus : la grange. La trappe. Merde la trappe. Quelques coups en viennent à bout. Mais au moment où il est de plein pied en haut, une vache balaie de sa corne l’échelle, sur laquelle est Sylvie. Elle a choppé le coin. Les jambes pendant dans le vide.

Meuhhhhhhhhhhhhhhhh, meuhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhh.

Serge lui attrape le bras. D’un coup, elle se retrouve en sécurité. Sans effort. L’amour et l’adrénaline aidant. Là-haut, ils étaient dorénavant en sécurité. De longues secondes, ils se regardèrent dans les yeux. Ils se prirent dans les bras.

Mais,

Tout à coup. Énorme vibration. La poussière tombe des poutres du plafond. Des coups de cornes dans les fondations, le chalet n’allait plus tenir longtemps. Sentant la bâtisse plus de deux fois centenaire qui tirait sa révérence :

  • Je t’aime.
  • Moi aussi, je t’aime.

Un bruit de claque. Un bruit de claque si fort qu’il aurait de quoi faire pâlir la plus cruelle des fessées. Plus puissant que tout ce que vous pouvez concevoir heurter votre joue. Le taureau, réveillé en sursaut, et visiblement mécontent de se faire déranger en pleine nuit, décida de remettre de l’ordre dans son harem. Se levant sur ses deux pattes, il balançait à gauche, à droite, à droite, à gauche de phénoménales BIFLES ! ou Biffles.

Face à ces soufflets de catégorie reine, elles s’en allaient une à une. En bas le caquet. On les voyait soumises et désemparées quitter les lieux d’un bond, puis marcher gentiment, une fois sorties de la zone de danger. Leurs meuh étaient déçus, même dégoutés de s’être fait prendre. Elles étaient forcément déçues de ne pas gouter à de la farine animale, alors que leurs arrière-grands-mères y avaient pris goût à l’époque. Une poudre miraculeuse, non sans effet.

Pour les plus récalcitrantes et les plus rebelles, le taureau faisait tourner ses énormes boules au-dessus de sa tête, avant de les balancer, une fois la bonne vitesse atteinte, dans leur museau.

Il n’y avait plus une vache. Quand soudain, le taureau entendit un souffle. Il se retourna et se retrouva face à face avec la plus rebelle des vaches, une vachiministe, qui avait gagné son respect au milieu du troupeau en imposant son idéologie, mais aussi parce qu’elle avait les plus grosses tétines de toute la Suisse. Pas impressionné pour un sou par le regard défiant qu’elle lui lançait, le taureau savait bien qu’une simple bifle, ou biffle, ou une fronde de couilles ne suffiraient pas à la faire déguerpir. Alors, avec son sabot droit il appuya sur une montre vert fluo, disposée au-dessus de son sabot gauche. « Transmutation laser power destruction intergalactique canon magma tornade », qu’il dit en même temps. Une puissante lumière vert fluo descendit alors du ciel, dans un bruit aigu, et arrivant droit sur la tête du taureau devait lui donner une puissance phénoménale. Se retournant, il lâcha la plus monumentale des caisses. Un truc à vous assommer un cochon avec le nez bouché. Face à l’odeur nauséabonde et pestilentielle, la reine recula, redevenue humble, car elle savait qu’elle ne pouvait faire mieux qu’un pet intergalactique.

Malgré les relents, le couple, radieux, se pencha à travers la trappe.

En cœur : « merci monsieur taureau ! »

C’est alors que le taureau leva les yeux vers le haut. Et d’un bond, tel un marsipulami, il faisait face aux survivants.

Il avait toujours son énorme trique.

Lentement, avec un regard qui en disait long, sans doute un humanophile bisexuel, il s’approcha du couple.

Et dit juste :

« Eh eh ehhhhhhh, regardè wouâr ske les côpines m’ont dégôtè ! »

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