Un aviateur

Publié le par alexonyme

Les staches retroussées, casque vissé et lunettes baissées, pas seulement pour le style ; Louis de la Plaine amorçait son approche ; même s’il puait, parce que les déos, dans les années trente, ne tenaient ni quarante-huit heures, ni ne faisaient tomber les anges. L’odeur des aisselles n’était pas encore un problème, puisque le pilote était en train de se les geler à l’air libre, et que l’odeur dominante était plutôt un bon vieux mélange d’huile, de gaz d’échappement et de graisse. Ses habits captaient ses belles odeurs mécaniques, tandis que son écharpe, maculée, se faisait maltraiter par les turbulences. Au sol, la trainée verte grandissait à vue d’œil, parfait, il n’y avait plus qu’à poser.

C’était donc cette petite ligne qui serait son salut. Et son salut, c’était de ramener ce biplan à bon port, prendre une douche, et rejoindre le monde, pour voir s’il ne s’y trouvait pas encore des femmes de peu de vertus.

La météo n’était pas si dégueu, la piste d’atterrissage pas si difficile, et le pilote, ma foi, pas si mauvais. C’était le moment de se concentrer, car l’excès de confiance, dans ce métier-là, pouvait vous coûter la vie.

Alors, il l’empoigna, ce manche, et dompta son oiseau de bois et de toile. Cette bête féroce, à peine apprivoisée, était pourtant stable et maniable, un bijou de technologie, ce qui se faisait de mieux à l’époque.

Dans la tour, ça puait ni les aisselles, ni l’huile, mais au milieu des nuages de pipe, de cigares, et bien sûr de clopes, on apercevait gentiment la carlingue, qui était pour le moment qu’un point à l’horizon.

Le bruit devenait insupportable et brisait la quiétude des environs, parfois les vaches aux alentours, couchées sur le flanc, et qui ruminaient tranquilles, daignaient, paresseusement relever la tête pour observer ce bizarroïde animal volant.

Pourtant, une traînée de poussière se fit voir ; et c’était toujours un soulagement. Louis gara son zingue et déjà sa cour se précipitait vers lui. Un pied sur l’aile inférieur, un petit saut et voilà Louis qui touchait la terre ferme.

« Bel atterrissage monsieur de la Plaine ! »

Sans y prêter attention, Louis se contenta de balançait au jeune homme, qui était un admirateur, une partie de son barda. En marchant d’un pas décidé, il commença par mettre la main droite à l’intérieur de son blouson, sans marquer de pause, la main garnie du plaisir convoité alla droit à la hauteur de la bouche. Machinalement, il retira, toujours avec la même main, et toujours de la même poche, un zippo qui bientôt s’alluma pour animer le cigare, qu’il venait de coincer entre ses dents.

Toujours en train de marcher, toujours avec sa main droite, il retourna farfouiller ses poches intérieurs. Y surgit un peigne, car l’apparence, à cette époque, ce n’était pas de la rigolade. Son pas décidé ne faiblissait pas, alors que les dents remettaient de l’ordre dans cette chevelure abondante. Tirés en arrière, profitant de la gomina, le voilà qu’il redevenait présentable, une mèche rebelle tombant sur son front et le reste dompté en arrière. Enfin, le grand final, toujours en marchant, mais avec ses deux mains cette fois-ci, il enroula ses moustaches.

Tout s’annonçait bien. En arrivant dans le hangar, la vedette saluait quelques personnes. Des gens de la compagnie, pas aventuriers pour un sou, à la vie bien réglée, tous mariés. Ceux-ci admiraient le casse-cou, le baroudeur aux nombreuses conquêtes, qui s’amassaient dans chaque port, dont celui-ci.

Sa marche décidée et sûr d’elle fut stoppée nette, un bras ferme et puissant comme un étau le retenait prisonnier, c’est ainsi que l’oiseau était mis en cage avant d’être libéré à nouveau.

« Une sieste et départ dans deux heures. »

Cette nuit encore, alors que les gens lambda s’enrouleraient dans les bras de leur femme, bien au chaud sous leur duvet ; le rebelle, le héros, l’aventurier allait, une nouvelle fois, se geler les moustaches à quatre mille mètres d’altitude. 

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